Le Non-Film de Quentin Dupieux aka Mr Oizo

lundi 17 mars 2008

Notes sur la problématique du droit nazi


Le droit est un animal, une chose spongieuse, tentaculaire et obscure, somme d'instincts et d'actions aveugles et concrètes. Essayer de le décrire, c'est vouloir le dessiner dans un cadre en une liste exhaustive. Mais comment peut-on légiférer sur la Loi elle-même ? Codifier le Codex ? Etablir une Constitution de la Constitution ? Au sommet le plus haut, il ne peut y avoir un autre plus haut encore sans que cela ne bouleverse la hiérarchie des normes.

Pour contourner cette aporie, nous dirons que nous pouvons abstraire le droit de ses formes multiples et hiérarchiques en une phrase : le droit est la norme d'une société.
Cette formule permet d'y inclure les sociétés privées, entreprises ou associations, mais aussi les organisations territoriales, étatiques et non-étatiques, ou internationales, et ainsi toutes les formes et formules que prend le droit à quelque niveau qu’il existe.
Mais que signifie encore norme ?
Normatif, normalité, normé (ou orthonormé), ces vocables dérives explicitent cette idée de norme, comme un cadre, mais aussi comme un repère, un référentiel de valeurs et d'axiomes applicables dans un cosmos.

Le droit nazi serait donc la déclinaison du concept de norme à l'idéologie nazie qui devient référence ou référentiel. Le nazi, comme individu soumis volontairement au droit nazi, est alors normal. On pourrait presque affirmer que si le droit nazi était accepté comme cadre d'un pays, au niveau de ses institutions gouvernementales comme de ses habitants, rien ne pourrait contester sa légitimité nationale. Ainsi, l'Allemagne, en plébiscitant la nomination d'Hitler comme Chancelier, aurait implicitement reconnu le droit nazi comme la norme légale germanique. Pourquoi questionner alors cette apparente légitimité ?

Premièrement, on ne peut qu'être choqué par une telle assertion, que l'Allemagne aurait accepté le droit nazi comme norme. On peut en effet réfuter cette phrase par un développement autour du contexte socio-historique de l'Allemagne, en insistant sur le climat de quasi-guerre civile qui y régnait à la fin des années 1930, ajouté à la misère, la pression des SA et la propagande de la NSDAP combinée aux talents oratoires d'Adolf Hitler. Mais cela a déjà été très bien fait, notamment par l’historien Louis Dupeux (in La révolution conservatrice allemande sous la république de Weimar, Kimé).

On peut surtout questionner la légitimité du droit nazi au regard de son contenu : le contexte est un outil, mais le fond de la chose est quand même nettement plus appréciable et certain.
Le droit nazi est tout sauf un droit national et propre à l'Allemagne. En parallèle de la logique de pangermanisme et de volonté d'empire inspirées par l'ambition du Führer, le droit nazi se distingue des autres droits en ce qu'il est le corollaire et le serviteur fidèle d'une idéologie particulière, le nazisme. La doctrine qui en découle se fonde sur une classification raciale des hommes d'après le critère de la qualité de leur sang. Elle incite à traiter les hommes des races dites inférieures comme des sous-hommes (on pourrait rapprocher cet aspect, toutes proportions gardées, de certains textes d'Aristote qui met volontiers sur le même plan l'esclave et le bœuf qui travaille dans les champs), en particulier les juifs. Elle n'épargne pas non plus les Slaves, les Asiatiques, les Noirs (classés selon les scientifiques du parti au plus bas dans l'échelle des races, juste avant les Juifs), ou encore les Tziganes. L'idéologie nazie du surhomme, sorte de corruption du Übermensch de Nietzsche, a notamment été inspirée par de nombreux groupuscules mystico-politiques (la Société de Thulé, par exemple).
A ce critère de race s’ajoute un eugénisme exacerbé, exaltation de l’aryen, archétype presque mythologique de l’athlète blond aux yeux bleus, pur de cœur et d’esprit, censé représenter l’allemand non corrompu par le contact avec les autres races. Cette obsession de la pureté du sang mènera également les homosexuels, les handicapés et les malades mentaux vers les camps d’extermination.

Nous pouvons nous arrêter là pour ces descriptions sur le fond de la doctrine nazie : on peut déjà remarquer que l’objet de cette doctrine n’est pas le nazi allemand, ni même l’Allemagne. Cette doctrine englobe l’humanité toute entière dans ce jeu cruel et arbitraire de la qualité de race de tel ou tel individu. Une telle idéologie dépasse de très loin les simples frontières étatiques.
Le droit nazi, en tant qu’instrument de la doctrine nazi, a donc une portée universelle, se veut un droit régissant non plus un royaume, un Etat ou un empire, mais bel et bien l’Humanité, sur le même plan que la Charte des Droits de l’Homme des Nations Unies. Si le nazisme était une religion (il en porte certaines caractéristiques), le droit nazi serait son Décalogue, sa Charia. C’est le sens qu’il faut accorder aux lois anti-sémites par exemple : dans la controverse Hart-Fuller, qui opposait le jus naturalis au positivisme, les deux philosophes se sont demandés si de telles lois étaient légitimes et pouvaient être considérées comme applicables à l’époque. C’est la limite, à mon sens, de l’idée de droit sans morale, ou plutôt, de droit amoral, comme positif, objectif. Une loi, jugée par les hommes comme inique, odieuse, révoltante, peut-elle cependant être valide (et donc applicable) car respectueuse des procédures d’adoption ? Derrière ce premier problème se cache une question plus vaste : les intentions d’un Etat peuvent-elles justifier des moyens immoraux ? En d’autres termes, une loi immorale d’un Etat garde-t-elle sa légitimité quand elle sert un objectif de bien commun ? Car, enfin, comment éviter des rapprochements douteux entre la loi française sur la légalisation de l’avortement et la loi nazie sur l’euthanasie des malades mentaux ?

Certains chercheurs ont évité le sujet en démontrant que l’Etat nazi n’en était pas un, mais une polycratie. Faut-il en conclure que si l’Etat nazi avait été un Etat tel que le définit Weber, alors la Shoah aurait été parfaitement légitime ? Si demain la France, toujours constituée en République démocratique, lançait un génocide en passant une loi à l’Assemblée, aucune critique ne pourrait lui être opposée ? Au-delà de l’illégitimité de l’Etat même, rien ne pourrait remettre en question une loi ?

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